Pêche au thon germon, aux tangons et filets (le dernier)
Commentaire du film
Depuis le début du 20ème siècle, les pêcheurs du littoral atlantique mènent de l’été à l’automne de traditionnelle campagnes de thon . Les premier thoniers à voile de Concarneau, Douarnenez, Camaret quittaient alors les ports bretons pour croiser la route du célèbre Germon, le thon blanc, qui, depuis des millénaires, remonte en bancs serrés ( des mattes), les courants tempérés du Gulf Stream.
Lancé à la curée dans de fantastiques chasses de petits poissons comme le sprat, la sardine ou l’anchois, le Germon attire des bandes d’oiseaux de mer. Leurs cris, leur sarabandes, leurs attaques en piqué alertent les pêcheurs qui mettent immédiatement le cap sur le banc de thon.
Surexcité par les milliers de proies passant à sa portée, le thon se laisse alors prendre à de gros leurres de crin de cheval coloré accroché à des hameçons. Ces leurre sont traînés à la surface de l’eau par des lignes fixées à des perches de bois appelées tangons. Dans ces navires où les procédés de conservation n’existent pas, et où l’on ignore encore tout de la chaîne du froid, la pêche est à la merci des changements de températures. Un seul jour d’orage suffit pour corrompre la chair du poisson et la rendre immangeable. Il faut attendre les années 30 pour que Louis Krebs, un ingénieur de Concarneau, mette au point la première chambre froide sur les thoniers. Cette invention permet d’allonger la durée des marées et de ramener au quai des captures ne bon état de conservation après 15 ou 20 jours de mer.
L’ère du filet maillant dérivant débute vers les années 80 et elle met en œuvre des moyens et une philosophie très différents de ceux de la pêche traditionnelle. Vingt ans plus tard, différentes directives mettront fin à son utilisation.
Quand, à la fin du mois d’août 2001 le « Si tous les gars » de Gilles Guéguen quitte le port de Saint-Guénolé-Penmarc’h, il attaque sa dernière campagne au filet.
Le « Si tous les gars » est un bateau en bois de 16,20 mètres construit au chantier Tanguy, de Pouldavid, près de Douarnenez, et équipé d’un moteur 12 cylindre en V de 330 CV. Après avoir longtemps pratiqué en Manche et en Irlande la pêche de la julienne, du congre et du lieu à la palangre, le « Si tous les gas » arme chaque été pour le thon depuis une quinzaine d’années. Durant l’hiver il pratique des marées de 2 à 3 jours axées sur la pêche au lieu.
La saison de thon commence généralement fin mai pour s’achever fin septembre. La flottille de Saint-Guénolé ne compte plus que 3 thoniers, contre une dizaine il y a encore quelques années.
Le « Si tous les gars » embarque 5 hommes : Michel, Mika, Thierry, Richard et Gilles, le patron. Avant la réglementation actuelle limitant la longueur de filet, ils étaient 7 à bord.
Le bateau met le cap sur le Golfe de Gascogne pour une campagne de 3 à 4 semaines. 5 à 6 jours plus tard il atteint sa 1ère zone de pêche, à 400 milles dans le nordet des Açores. La seconde partie de la marée se poursuivra dans le suroît de l’Irlande où le bateau achèvera sa saison.
En début de saison, la zone de pêche est déterminée d’après les détections menées par des scientifiques. Des échantillonnages permettent de mesurer la densité des bancs et d’estimer les qualités de la campagne à venir.
Le repérage des mattes et la définition de la zone de pêche se font aujourd’hui à l’aide d’ordinateurs, de tables traçantes, de logiciels capables d’analyser des données aussi importantes que la température de l’eau ou la vitesse des courants. De véritables banques de données électroniques sont désormais à la disposition des marins… qui font pourtant toujours appel à leur instinct.
Les filets, repérés par une balisage lumineux, sont mouillés le soir sur les hauts-fonds. Ils stationnent dans l’eau une dizaine d’heures environ pour être relevés au petit matin ;
Jusqu’aux dernières réglementations , les thoniers utilisaient 7 km de filets d’une profondeur de 22 mètres. La longueur a depuis été ramenée à 2,5 km pour une profondeur de 25 m.
Le thon blanc germon, « Thunus alalunga », mène une vie très active. La ponte des adultes a lieu d’avril à septembre, en plein océan, dans une vaste zone située entre les Iles Canaries et l’arc des Caraïbes. Sur les 3 millions d’œufs pondus par la femelle, seul un petit nombre parviendra à survivre. Les larves se développent rapidement dans une eau de surface de 24°.
Les jeunes Germons migrent vers l’Atlantique. Vers l’âge de 2 ans on les retrouve surtout dans le secteur des Açores. Ils profitent de l’été pour s’engager dans le Golfe de Gascogne et remonter vers le sud de l’Irlande. Mais ils prendront leurs quartiers d’hiver au large de Madère ou de Punta Delgada.
Quelques mystères demeurent sur la vie du Germon. On n’a, par exemple, jamais capturé d’individu de moins de 40 cm mais on les voit apparaître au large des Açores ou de la Floride en fin de printemps !
Vers 5 ans, rendu à l’âge adulte, le Germon rejoint les Antilles pour la reproduction. Il mesure alors environ 85 cm de long. Il change son cycle de migration afin de gagner les zones de ponte et d’hivernage.
La taille maximale du Germon est de 115 cm pour une trentaine de kilos. Sa longévité est de 10 à 12 ans.
C’est durant le séjour en Atlantique que l’on fait les meilleures captures. Quand il pèse 2 à 3 kilos on l’appelle bonite, du nom espagnol « bonitos ».
La chair du germon est blanche, ferme. C’est un poisson puissante résistant qui doit ses qualités à deux types de muscles : les muscles rouges, qui lui donnent sa rapidité, et les muscles clairs qui lui confèrent une grande résistance.
La chair de thon est dotée de grandes qualités nutritionnelles. En 1937 déjà des chercheurs français les mettaient en évidence.
Vers 6 H 30 du matin le patron annonce le branle-bas. Ses appareils électroniques lui ont permis de situer les bouées et un calcul rapide lui a donné le temps de route pour les atteindre. Les hommes s’équipent rapidement et, le temps d’un petit déjeuner pris dans le calme, montent sur le pont. Le filet a alors passé une dizaine d’heures dans l’eau.
C’est un power-block, un système de relevage équipé d’une grosse poulie de caoutchouc qui assure le relevage du filet, relié aux bouées par 80 mètres de « bout ».
Le filet est rangé à l’arrière du bateau, stocké dans six bacs séparés pour éviter qu’il ne constitue un poids-mort trop important en cas de mauvais temps.
La capture moyenne par filet est de 150 à 200 poissons, une campagne de pêche représentant 12 à 13 tonnes, soit 2 500 à 3 000 thons,.
Les manœuvres du power-block, alliées à celles du bateau, sont délicates par gros temps. Il faut tout le savoir-faire du patron pour manœuvrer avec précision les quatre manettes de commande.(2 pour le moteur du bateau et 2 pour l’engin de levage)
Les captures, des poissons de 5 à 7 kilos, sont démaillées, rapidement éviscérées et lavées.
Dans l’échelle de classification des poissons en gras, semi-gras ou maigre, le thon se classe dans la catégorie maigre, au pire semi-gras. S’ajoutent à cela des avantages alimentaires incomparables, une très grande richesse en protéines – un minimum de 20% pour 100 gr de chair – et un apport calorique faible. Une étude réalisée en 1982, alors que l’on se préoccupait nettement moins de ces problèmes, révélait déjà que « le thon contient des taux de graisse de 4%. Si la poitrine, ou ventrèche, 6% de la masse de chair, est la plus lipidique, le reste du corps fait apparaître des pourcentages moyens de graisse étonnamment bas. »
Après séchage, les poissons sont descendues en cale réfrigérée et couverts de glace. La température est de l’ordre de 4°.
Le bateau embarque environ 10 tonnes de glace. La conservation du poisson à basse température permet de conserver la chaîne du froid et d’éviter la corruption des captures, hantise des marins des premières années du 20ème siècle.
L’après-midi est consacrée à la pêche au tangon. Les deux perches sont abaissées sur chaque bord et les lignes filées dans le sillage du bateau. Les marins du « Si tous les gas » renouent alors avec la tradition, et leur façon de pêcher n’est guère différente de celle de leurs aieux.
Alors que la pêche aux tangons étaient toujours pratiquée, dans les années 60 plusieurs thoniers pratiquaient la pêche à la canne, à l’appât vivant. La première partie de la campagne consistait à capturer au bolinche, un vaste filet tournant, de la sardine ou de l’anchois. Conservés dans des viviers de bord oxygéné par des pompes, les appâts étaient lancés par seaux à la mer parmi les chasses de thon. Les pêcheurs se servaient alors de grosses cannes de bambous montées d’un nylon très solide et de leurres rouges ou oranges sur hameçon double. Très sélective, cette pêche a été assez rapidement abandonnée, essentiellement en raison d’une rentabilité économique inférieure à celle du chalutage des poissons de fond.
Les leurres n’ont changé ni d’aspect, ni de forme. Seule la matière synthétique a remplacé le crin de cheval ou les cordonnets de coton qui servaient autrefois de bas de ligne. Attiré par la brillance des fils, le thon se précipite sur ce qu’il croit être une sardine, un sprat, un anchois blessé ou en dérive. Mais la proie facile est un piège redoutable, affûté par les marins depuis des générations de traque.
Les prochaines campagnes de thon ne se feront qu’aux tangons
Les distractions sont limitées en haute mer. Alors, pour passer le temps, en attendant l’heure de gagner la couchette pour quelques heures de sommeil, on joue à la belote. Quatre homme aux cartes… et un au quart ,à la barre, en permanence, jour et nuit, à tour de rôle.
La météo est excellente cette année. La température de l’eau favorise la migration du poisson. Le temps, particulièrement clément, permet aux marins de travailler dans les meilleures conditions. Ils n’ont pas, ou peu, subi de « coups de chiens », de tempêtes, cette saison. Tout le monde a pourtant en mémoire certaines campagnes désastreuses, où, à l faiblesse des captures, s’ajoutait une litanie de dépressions d’été sur le Golfe de gascogne. Certaines d’entres elles d’ailleurs furent, entre 1960 et 1970, à l’origine de pertes importantes en vies humaines.
L’espadon fréquente également le Golfe de Gascogne. Les thoniers en ramènent plusieurs individus à chaque marée dont certains atteignent des poids respectables.
Il est 23 heures. C’est le dernier soir de la campagne de pêche du « si tous les gars »
Pour l’ultime fois, Gilles Guéguen procède à l’opération de mise à l’eau.
L’année prochaine , en 2002 , il devra, pour continuer le thon , adopter une autre technique, revenant vraisemblablement à la ligne traditionnelle.
Les prise ont été bonnes et la cale s ‘est remplie peu à peu. En fin de marée les derniers poissons atteignent quasiment le plafond.
Sur le chemin du retour , le « si tous les gars » croise un confrère caseyeur de Camaret. Ils sont de vieilles connaissances et échangent, bord à bord, sans avoir besoin de radio, quelques mots de sympathie.
Le bateau regagne le port de Saint-Guénolé ..
Les cales contiennent environ 3 000 thons dont la plus grande partie rentre dans le circuit du mareyage professionnel.
Le poisson part vers le marché national, vers quelques conserverie bretonnes , vers l’Espagne et vers des marchés méditerranéens.
Il est d’usage aussi que les thoniers vendent une partie de leur pêche au public. Ce type de vente attire toujours une foule importante d’acheteurs et de curieux et de connaisseurs.
Nombres de Bigoudens sont de grands amateurs de thon et ils fabriquent eux même leurs conserves pour l’hiver.
C’est dans la cuisine du restaurant Erwan de Quimper que Anne , le chef, nous propose une recette de tournedos de thon.