Film Vidéo Bretagne Pêche de l’anchois, à la bolinche / réalisation André Espern

 

anchois copier

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les marins de Cornouaille sont depuis des siècles pêcheurs de sardine et d’anchois. L’histoire est ancienne qui lie la région à l’exploitation de l’océan, des textes millénaires évoquant les vieilles cuves à « garum », un autolysat de poisson, vraisemblable proche parent du « nuoc-mam » asiatique. Des fouilles ont d’ailleurs permis de mettre à jour plusieurs vestiges de ces cuves de pierre aux Plomarc’h près de Douarnenez, ainsi qu’à la pointe de Telgruc.

Commentaire du film

Des images du début du 20ème siècle montrent des flottilles impressionnantes de voiliers à l’amarre au port de Douarnenez. D’autres les représentent en route vers les lieux de pêche, devant les célèbres Tas de Pois de la pointe de Crozon. Les bateaux embarquaient alors de la rogue de Hollande, un mélange salé d’œufs de poisson destiné à attirer la sardine et le maquereau. Les images évoquent aussi l’animation qui régnait sur les quais ou dans les très nombreuses usines de conserves de la région. Celles-ci employaient alors un personnel féminin très important, même pour les tâches les plus dures. Si l’on y trouvait quelques hommes à des postes de manœuvre, les employés masculins étaient généralement soudeurs ou sertisseurs de boîtes, ou encore autoclavistes.

Aux filets droits en coton (que l’on tannait afin de renforcer leur résistance à l’eau de mer), allaient bientôt succéder le filet tournant, également appelé bolinche. Son autorisation d’emploi remonte au printemps… 1926, date à laquelle un décret ministériel permit aux marins d’utiliser cet appareil baptisé « modèle Saint-Guénolé ». En avance sur son temps, on efficacité avait à l’époque déclenché bien des polémiques : dès le premier jour de pêche en effet, il avait permis de capturer 750 000 sardines ! Une record d’anthologie à l’époque ! Employé donc tout d’abord pour la sardine, puis pour l’anchois, l’utilisation de la bolinche va rapidement se généraliser tout le long de la côte.

Saint-Guénolé-Penmarc’h, site emblématique du Pays Bigouden, port hauturier de tout premier rang, 1er port sardinier de France, mène d’importantes campagnes d’anchois. Au pied de son phare, l’amer le plus remarquable de la région haut de 67 mètres ( ?) célèbre dans le monde entier, les marins ont bâti leurs maisons, élevé les quais, creusé le port. La flottille de pêche de Saint-Guénolé comprend une quarantaine de chalutiers-hauturiers, 25 côtiers, une trentaine de canots, 4 gros fileyeurs et 7 à 8 bolincheurs.

Le « Lisanaïs », un solide bateau bois construit au chantier Latinet, de Camaret, en 1977, et propulsé par un moteur de 380 chevaux, est l’un d’eux. Immatriculé à Douarnenez, où il s’amarre généralement durant l’hiver, le bateau fréquente le port de Saint-Guénolé le restant de l’année. Jean-Luc Gaonac’h est le propriétaire et patron du navire depuis 3 ans.
En août et septembre il abandonne momentanément la sardine pour l’espèce saisonnière que chacun ici attend avec impatience : l’anchois !

L’embarquement a lieu vers 23 heures en été et le bateau quitte le quai quelques minutes plus tard, Jean-Luc prenant la barre,
Si la technologie a évolué, la pêche à l’anchois demeure une traque très dynamique au cours de laquelle les marins, liés par le canal radio de la V.H.F., échangent en permanence leurs observations. Chacun guette attentivement l’indice qui peut faire économiser des milles inutiles.
L’équipage de cinq hommes, déjà revêtus du ciré, prenant un peu de repos dans les couchettes. La nuit va être longue et fatigante si le poisson est au rendez-vous.

Le temps de route peut durer de une à trois heures car l’anchois est un poisson grégaire, imprévisible et capricieux. Des millions d’individus composent ses bancs qui évoluent quelque part… devant la côte, dans la baie d’Audierne, dans celle de Douarnenez, aux Pierres Noires, ou, pourquoi pas… entre les deux. On le croit à l’ouest… il est au sud, ou bien au nord, à moins qu’il n’ait déjà choisi de gagner d’autres fonds. Mais s’il arrive encore parfois, en début ou en fin de saison, de le traquer une nuit entière, sans résultat, l’équipement électronique des passerelles permet de nos jours les détections les plus fines.

L’ensemble des bateaux est aujourd’hui muni d’appareillage de haute technologie, tant au niveau du repérage que de la sécurité. Les sondeurs couleurs, les tables traçantes vidéos, les ordinateurs de bord, sont de véritables centrales informatiques équipées des matériels les plus performants. L’utilisation des satellites par exemple, comme dans le cas du Global Positioning Sytem, le fameux G.P.S. qui a révolutionné les déplacements en mer, permet une navigation et des enregistrements de données d’une précision inouïe. Et dans l’étrange lumière rouge, semblable à celle d’un laboratoire, qui baigne la passerelle, les informations les plus variées défilent sur les écrans dans des conditions idéales de confort visuel.

 

Il est minuit vingt ! Le premier banc d’anchois est repéré au sonard! Les marins s’équipent et sont rapidement sur le pont. Chaque homme s’installe a son poste habituel.

La pêche commence. Un balise lumineuse est mise à l’eau. Son rôle est fondamental car elle doit servir de repère pour l’ensemble de la manœuvre.
En effet, pêchés dans le noir le plus absolu, seule la balise de surface permet le repérage du filet et l’exécution de la manœuvre de pêche, un encerclement rapide du banc de poissons.

Le principe de la bolinche –il y en a deux à bord- est celui d’un long filet de 330 mètres sur 60 mètres de chute. La partie inférieure, lourdement lestée, le maintient perpendiculairement dans l’eau alors que la bateau amorce une manœuvre d’encerclement du banc de poissons. La bolinche se transforme alors un grand cylindre dont il s’agit de fermer le fond. Des anneaux d’acier placés tous les 11 mètres, les margouillets, placés sur un câble, ou coulisse, transforment alors l’appareil en un immense bol capable de d’emprisonner plusieurs tonne de poisson.
Une partie de la bolinche est relevée mécaniquement à l’aide du « power-block », un système de type californien très puissant muni d’une grosse poulie en caoutchouc. La démultiplication des forces alliée à la puissance du moteur permet au power-block de soulever des charges importantes, qui ne seraient pas manipulables par l’équipage.

 

Les anneaux de fermeture du fond, en réalité des mousquetons en acier inoxydable, coulissent et s’empilent en se rangeant sur le câble qui les actionne. Leur rôle est fondamental dans la fermeture rapide de la poche.

 

L’énorme poids de plusieurs tonnes , la chair fragile de l’anchois, interdisent l’embarquement de la bolinche sur le pont.
L’un des bords du filet, relié au bateau à l’aide d’un mousqueton à manille va permettre de refermer un peu plus la nasse. La ligne des flotteurs est remontée grâce au palan d’un bras de charge.
Le reste de l’opération se déroule à la main, les bord du filet étant halés le plus près possible du flanc du navire.
Si la mécanisation a simplifié certains aspects du travail, les gestes traditionnels demeurent, qui consistent à haler lentement la bolinche à la main. Comme autrefois, chaque homme tient toujours le même poste sur le pont, et la nasse est soigneusement embarquée.
L’anchois, ou « Engraulis encrasicaulus » (en anglais Anchovy, en allemand Sardellen, en italien Acciuga) est un petit poisson argenté d’une dizaine de centimètres de long. Dit pélagique, il vit en haute mer, l’anchois se rapproche de la côte pour le frai à la belle saison. Il se déplace en bancs de plusieurs millions d’individus, au gré de ses besoins en zooplancton, fréquentant alors les fonds de 10 à 70 mètres du littoral ouest breton, se rapprochant parfois des estuaires. La femelle pond 15 à 20 000 œufs, mais une grande partie des alevins sera victime des prédateurs. Les déplacements en masses gigantesques de l’anchois alertent tous les poissons carnassiers, dont le bar, et on assiste alors à des poursuites furieuses. Piquant du ciel comme des avions, les oiseaux de mer participent activement à la curée dans des chasses toujours spectaculaires. Les bancs d’anchois affolés tentent d’échapper à ces ennemis impitoyables, nageant ou ailés qui fondent avec rage dans leurs rangs.

Sur le littoral, l’anchois fait traditionnellement l’objet de préparations familiales simples et délicieuses. L’étonnant François de Rabelais lui-même, devait déjà en être un amateur à l’époque de la Renaissance, si l’on en croit le festin de Pantagruel où, dans un fastueux menu de poissons de mer, l’anchois voisinait avec le turbot, la sardine, le maigre, les casserons, le saumon… et la baleine.
De nos jours généralement conservé dans le sel, en marinade, à l’huile, dans le vinaigre, l’anchois est aussi bien utilisé en produit festif, au cours d’apéritifs par exemple, qu’en complément gastronomique de salades ou de préparations diverses.
La lente remontée manuelle du filet permet de le rapprocher du bateau, tout en prenant garde de ne pas endommager la pêche, l’enchois demeurant un poisson très fragile.

 

Vient alors un des moments les plus excitants de la pêche : les anchois grouillent ! Ils brillent sous la lumière des projecteurs comme des traits d’acier, sautant en tous sens, frétillant, incapables d’échapper au piège qui les remonte inexorablement vers la surface. L’eau bouillonne !
Les marins sont toujours très sensibles à ces instants où l’objet de leur quête est à portée de leurs mains. Ils s’exclament, les regards s’allument. Durant un court instant ils ne pensent pas aux heures d’efforts qu’il leur reste à fournir, au travail qui tout à l’heure, demain, la saison prochaine, les trouvera une nouvelle fois sur le pont. La fièvre de la pêche est un plaisir toujours intense. Elle est faite de moments inoubliables, de coups de chiens, d’attente, d’espoirs déçus, de nuits interminables, de houle et de roulis.

La récompense est au bout de l’effort et l’heure n’est pas à la méditation. La bolinche ramenée contre la coque, il faut maintenant embarquer le poisson.
Comme les autres bateaux, le « Lisanaïs » utilise une salabarde, une longue épuisette d’une capacité de plus de 250 kilos.
Trop lourde pour être utilisée à la main, la salabarde est manoeuvrée par une petite grue hydraulique installée sur le pont.
Transportée au dessus de la cale, la salabarde s’ouvre automatiquement grâce à une poignée et un petit appareillage de garcette. Les anchois tombent dans la cale où l’eau de ruissellement et une bonne couche de glace conservent les prises dans le meilleur état de fraîcheur jusqu’au retour au port.
Le bateau est équipé de 4 cuves, des viviers réfrigérés d’une capacité de 2,8 tonnes chacun. Un serpentin de gaz réfrigérant immergé dans la cuve et couplé avec le moteur permet à un mélange d’un tiers d’eau mêlé à de la glace d’atteindre une température initiale de – 2°. Cette température atteint 6° lors du chargement du vivier avant de se stabiliser rapidement à 0°, première étape de la chaîne de froid permettant d’assurer une excellente conservation de la sardine.

La pêche étant bonne, le premier vivier est rapidement remplis.

 

Quand la mer grossit, le ballant de la salabarde prend des proportions importantes. Le roulis, la force d’inertie, la transforment en une lourde masse pendulaire que les marins, au risque d’être bousculés, doivent s‘efforcer de stabiliser. Les risques d’accidents sont d’ailleurs omniprésents sur le pont d’un navire, et ce sont eux qui motivent, notamment, les places habituellement attribuée à chaque matelot.

 

Des quotas officiels fixent à une dizaine de tonnes quotidiennes le niveau des captures des bolincheurs.
La pêche de cette nuit, particulièrement fructueuse, a rapidement rempli les viviers.
La fin de la pochée est directement libérée sur le pont et le Lisanaïs atteint ainsi la dizaine de tonnes que lui attribuent ses quotas et La marée s’achève.

La bolinche est embarquée et le matériel rangé en prévision du lendemain.
Après une nuit de travail éprouvante sur le plan physique, l’heure est venue de regagner le port.
La chance ,l ’expérience de Jean-Luc et le travail des matelots ont permis pour une fois de finir plus tôt ; on verra demain .

Les déchirures éventuelles sont immédiatement repérée et ramandée à l’aide d’un passe-fil spécial appelé aiguille et le filet rapidement remis à l’eau.

La route de nuit est toujours particulièrement délicate, sinon difficile, et le brouillard parfois, imprévisible, ajoute encore aux dangers de collisions. L’histoire maritime, hélas, est riche de drames dus à certains gros navires ne respectant pas toujours les règles de barre.
C’est pourquoi Jean-Luc observe l’environnement, tout en surveillant attentivement les appareils électroniques de navigation.

D’autres navires sont toujours en opération de pêche sur zone.
La radio VHF, , omniprésente, permet aux marins, grâce à ses canaux, de maintenir un lien permanent avec les confrères et les centres de sécurité à terre, les célèbres CROSS.
Mais elle permet également de nombreux commentaires sur la pêche : bonne pour les uns, mauvaise pour les autres.

Le « Lisanaïs » est le premier à regagner le port de Saint-Guénolé vers 7 heures du matin. C’est la criée, gérée par la chambre de commerce de Quimper-Cornouaille qui assure la manutention, la pesée et la mise en salle réfrigérée des captures.
Les acheteurs sont déjà sur le quai, téléphone portable à l’oreille. Leur connaissance du marché leur permet de saisir les meilleures opportunités.
La fluctuation des prix basée sur la loi de l’offre et de la demande est particulièrement sensible sur les espèces saisonnières, et la satisfaction des clients dépend de la rapidité des mareyeurs à estimer les apports et à proposer des prix intéressants.
Le poisson est déchargé à l’aide d’une petite salabarde et les marins le conditionne ce matin dans des caisses en bois pour une expédition dans le sud de la France ou vers l’E pagne.
Alors que le jour se lève sur Saint-Guénolé, les premiers arrivés sur les quais commentent la pê che. Il a fait beau. Le poisson est là. La campagne d’anchois est bonne au pied du phare de Penmarc’h.
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